Avant d’être un tube à la ligne de basse irrésistible, White Lines (Don’t Don’t Do It) de Grandmaster Flash & Melle Mel est un paradoxe ambulant : un morceau qui donne envie de danser tout en vous mettant en garde contre… ce qui fait souvent danser trop longtemps. Sorti en 1983, en pleine ère Reagan et explosion de la culture hip-hop, le titre mêle groove funk et discours anti-cocaïne, comme si Chic avait décidé de se mettre à la prévention.
Mais ce qui nous intéresse ici, c’est le clip signé Spike Lee — oui, le même qui nous a offert Do the Right Thing et Malcolm X. On est en 1989, et Lee injecte dans cette vidéo tout ce qui fait son cinéma : énergie urbaine, conscience politique et sens aigu du détail visuel. La caméra ne se contente pas d’illustrer le morceau ; elle chorégraphie la tension entre tentation et chute, dans un New York qui brille et qui grince.
Le clip s’ouvre sur un rythme hypnotique, presque théâtral. Lee convoque ses armes favorites : plans rapprochés sur les visages, couleurs saturées, lumière dramatique digne d’un Caravage des rues. La drogue n’est pas montrée frontalement, mais ses effets et son omniprésence transpirent à chaque cadre : regards fuyants, gestes nerveux, fragments d’objets. Le montage alterne scènes quasi-documentaires et instants stylisés, flirtant avec l’art vidéo façon Nan Goldin ou Jean-Michel Basquiat sur pellicule.
Le plus fascinant, c’est la manière dont Spike Lee s’approprie un langage purement musical pour en faire une fable visuelle. Il joue sur la répétition — le fameux “Don’t Don’t Do It” — comme un refrain filmique, martelant le message tout en laissant la séduction opérer. Le spectateur est pris dans ce double mouvement : on veut rester pour la fête, mais on devine déjà la gueule de bois.
Aujourd’hui, le clip de White Lines résonne comme un témoignage précieux d’une époque où le clip vidéo flirtait encore avec le court-métrage politique. Un moment où la pop pouvait faire danser… tout en vous disant d’arrêter la musique.
