Résistant, galeriste, collectionneur : itinéraire d’un homme libre
Il fut secrétaire de Jean Moulin, espion sous fausse identité, galeriste audacieux et historien par nécessité. Daniel Cordier (1920–2020), figure singulière du XXe siècle français, n’a cessé de faire dialoguer deux univers que tout oppose en apparence : la clandestinité politique et l’intimité esthétique.
Cinq ans après sa disparition, une exposition au Musée de la Libération de Paris retrace son parcours — non comme une ligne droite, mais comme un faisceau d’engagements, de ruptures et de révélations.
D’une trahison nationale à une rébellion intime
Né dans une famille bourgeoise bordelaise, élevé dans l’orbite nationaliste de l’Action française, Daniel Cordier aurait pu suivre la voie tracée. Mais le 17 juin 1940, à l’écoute du discours de Pétain, tout bascule.
« Ce n’est pas possible, c’est une trahison. »
À 19 ans, il rejoint les Forces françaises libres à Londres. Très vite, il devient l’un des plus jeunes agents du réseau de Jean Moulin, pour lequel il jouera un rôle crucial de coordination et de transmission. À défaut de porter les armes, il sera l’un des cerveaux discrets de la Résistance.
Une initiation esthétique par le politique
Ce n’est qu’après la guerre que Cordier entre pour la première fois dans une galerie… ou plutôt dans le Prado, à Madrid, où une visite agit comme un choc sensoriel.
« Un déclic mystérieux s’est produit. »
Son regard, longtemps rivé à l’action, s’ouvre à l’art — grâce, aussi, à Jean Moulin, lui-même amateur éclairé, qui lui offre L’Histoire de l’art contemporain de Christian Zervos. L’art devient alors un autre front, un autre langage.
Galeriste engagé, collectionneur visionnaire
Entre 1956 et 1964, Cordier ouvre successivement deux galeries à Paris, où il défend les avant-gardes avec audace. Il expose Dubuffet, Michaux, Matta, Duchamp, Brassaï, Réquichot, et se passionne pour les arts non occidentaux, les objets bruts, les matières indociles.
Il repère Robert Rauschenberg avant que le monde ne s’y intéresse. Il sent ce que les autres refusent de voir. Il agit toujours en éclaireur.
Après la fermeture de sa galerie, il s’investit dans le projet du Centre Pompidou avec une ferveur rare. Il fait des dons considérables — plus de 500 œuvres — pour enrichir les collections publiques. Sa vision n’est pas celle d’un marchand, mais d’un passeur.
Rétablir l’histoire, encore et toujours
Mais Cordier ne pouvait refermer la parenthèse de la guerre. En 1977, lorsqu’un débat télévisé entache la mémoire de Jean Moulin, il entre dans une nouvelle lutte : celle de la vérité historique. Il se plonge dans les archives, les rapports, les silences, et rédige entre 1989 et 1999 une biographie monumentale de son mentor.
« Ma liberté, je l’ai échangée contre leur mort. »
Cette phrase, brutale, résume à elle seule la tension constante entre vie privée, mémoire publique et loyauté silencieuse.
L’art comme refuge et comme résistance
Daniel Cordier n’a jamais cherché la lumière, mais il l’a transmise. Dans ses combats comme dans ses accrochages. L’exposition parisienne lui rend hommage non pas comme à un héros figé, mais comme à un homme de paradoxes, en mouvement constant, où l’art n’est jamais dissocié de l’éthique.
Il est temps de regarder Cordier autrement : non pas comme un agent secret de l’Histoire, mais comme un architecte invisible du regard.
Reference du livre :
Daniel Cordier (1920-2020) – L’espion amateur d’art
Daniel Cordier – Editions Paris Musées – Ouvrage relié – 128 pages – Textes en Français – Publié en 2025
Daniel Cordier découvre l’art grâce à ses conversations avec Jean Moulin et sa lecture du livre sur l’art contemporain que ce dernier lui offre en mai 1943. Après la guerre, il commence à collectionner et s’essaye à la peinture avant de devenir un galeriste reconnu puis un mécène généreux et engagé.
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