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novembre 26, 2025
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Amour pixelisé : le corps queer à l’ère des filtres


Dans l’économie du regard, tout passe par l’écran. Les applis redessinent les contours du désir, transforment le corps en interface et l’intime en algorithme. Entre liberté et performativité, le corps queer se pixelise — jusqu’à flouter sa propre vérité.

Juliana Huxtable – hybridations corps/avatars

Le miroir est devenu un écran

Nos visages n’ont jamais été aussi visibles — ni aussi filtrés. Dans la culture queer, l’image de soi est devenue un champ d’expérimentation.
Les applis — Grindr, Instagram, TikTok, BeReal — fonctionnent comme des laboratoires de perception. On y teste des identités, des poses, des versions de soi. Le filtre, d’abord jeu, devient une forme d’écriture du corps.
Mais il impose aussi une grammaire du visible : cadrage flatteur, peau sans texture, lumière dorée. La fluidité se heurte à l’uniformisation. Le corps, calibré pour plaire à l’algorithme, finit par s’auto-censurer.

L’émancipation sous contrôle

Cette hypervisibilité agit comme une arme à double tranchant. D’un côté, elle permet aux corps queer de s’affirmer hors du cadre normatif — d’apparaître, littéralement.
De l’autre, elle soumet l’expression de soi à la validation collective. Le regard de l’autre est toujours déjà là, niché dans chaque story, chaque swipe, chaque “seen”.
La promesse de liberté se retourne en performance permanente. L’écran qui libère devient parfois la cage.

Ryan Trecartin – vidéos saturées, chaos identitaire

Visages filtrés, corps réels

Certains artistes refusent la netteté et réintroduisent le grain comme forme de résistance.
Zach Blas (Face Cages) questionne la reconnaissance faciale et les normes qu’elle impose.
Juliana Huxtable, performeuse et DJ, hybridise les genres et les avatars : son corps devient flux, transition, fiction.
Ryan Trecartin, avec ses vidéos saturées, fait exploser la cohérence du selfie : le “je” n’est plus stable, il est bruit.
Tschabalala Self et Cajsa von Zeipel traduisent cette tension dans la matière : le corps queer y devient monument, collé, reconstruit, magnifique dans sa dissonance.

Cajsa von Zeipel – sculptures queer puissantes, post-humaines

Archives et flux

Les institutions culturelles s’en emparent aussi. L’exposition “Do You Feel Me?” au Somerset House de Londres explorait déjà cette hyper-intimité numérique.
À Paris, le festival Hors Pistes du Centre Pompidou a questionné la relation entre genre, technologie et autoportrait.
Sur TikTok, des créateur·rice·s comme Kidd Kenn ou Salem Elise transforment le filtre en narration : il devient masque, outil, revendication.

TikTok hyperpop queer aesthetic (filtres, avatars, slogans)

Laisser paraître

Dans un monde où la beauté est optimisée, résister, c’est parfois laisser paraître.
L’image queer n’a pas vocation à corriger le réel mais à le complexifier.
Et peut-être que la sincérité, aujourd’hui, ne réside plus dans la transparence, mais dans la conscience du faux.

Exposition Somerset House : Post-Human Bodies / Do You Feel Me?

Encadré : pour aller plus loin

À voir
Face Cages (Zach Blas)
Reifying Desire (Ryan Trecartin)
Post-Human Bodies – Somerset House (UK)
Hors Pistes – Centre Pompidou

À lire
Legacy Russell, Glitch Feminism
– Paul B. Preciado, Un appartement sur Uranus

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