Fantômes, sueur et pigments électriques.
L’air est lourd, presque collant.
Des toiles encore humides s’appuient les unes contre les autres comme des corps qui se frôlent.
Dans cet atelier du nord de Paris, Pol Taburet peint le visible qui transpire — les peaux, les esprits, les halos qui restent après le geste.
On y entre comme dans une pièce d’incantation : l’art n’y est pas une image, mais une apparition.

Un réalisme hanté
Pol Taburet peint la chair comme une énigme.
Ses visages suintent la couleur, ses corps semblent traversés par une lumière interne.
Ni saints ni pécheurs, ils habitent un entre-deux où le sacré se confond avec le charnel.
Chaque tableau devient une séance de possession inversée : ce n’est pas le peintre qui habite la toile, mais la toile qui l’habite.
L’humidité du lieu n’est pas anecdotique — elle fait partie du processus, elle garde la peinture vivante.

Entre club et chapelle
Dans ses œuvres, la lumière vient souvent du sol, comme dans une boîte de nuit ou une crypte.
Les pigments sont acides, presque numériques, mais le geste reste charnel, presque baroque.
Taburet appartient à cette génération qui a grandi avec le numérique, mais qui peint contre lui : un monde saturé, moite, fragile.
Les figures semblent sorties d’une transe ou d’un rêve fiévreux.
C’est du spirituel qui suinte, du rituel en haute résolution.

Le corps comme lieu de passage
Les silhouettes de Taburet sont poreuses : elles se dissolvent dans la lumière, se consument dans le rouge, se reconstituent dans la sueur.
Elles évoquent autant les saints de Zurbarán que les avatars 3D d’un jeu vidéo.
L’artiste y cherche une forme de réconciliation : entre la foi et la chair, le glitch et la grâce.
L’humain y est toujours au bord de l’effacement, mais jamais absent.

L’atelier comme organisme
L’espace de travail respire avec les toiles : on y trouve des traces de cire, de pigment, de musique.
Une bassine d’eau sale, un tissu jeté sur une chaise, un ventilateur paresseux.
Rien de propre, tout est vivant.
L’atelier, ici, n’est pas un lieu de production, mais un écosystème : un ventre moite où les images fermentent.

La moiteur comme esthétique
Cette moiteur, c’est la signature Taburet.
Une atmosphère dense, presque humide de sens, où tout semble à la fois sacré et sensuel.
La peinture ne cherche pas à représenter : elle cherche à contaminer le regard.
On ressort de l’atelier comme d’un rêve tropical — un peu fiévreux, un peu changé.
Référence
🎨 Pol Taburet, Autogenesis — exposition à Lafayette Anticipations, Paris (2023).
Une plongée mystique où le corps devient paysage.
Encadré : à voir / à lire / à écouter
À voir
– Autogenesis, Lafayette Anticipations (2023)
– Residency video, Lafayette Anticipations Archives
– Pol Taburet x Dazed Digital interview, 2022
À lire
– Entretien “Pol Taburet, la peinture comme exorcisme”, Le Monde, 2023
– Nicolas Bourriaud, Formes de vie
– Achille Mbembe, Politiques de l’invisible