Rick Owens au Palais Galliera, c’est un peu comme si une procession gothique avait investi un musée d’histoire de la mode : l’ombre devient matière, le drapé devient manifeste. Le créateur californien, exilé volontaire à Paris, n’a jamais cherché à plaire aux règles de la couture ; il les a tordues, étirées, jusqu’à les transformer en architecture portable. L’exposition actuelle retrace cette trajectoire singulière : vingt ans de silhouettes qui oscillent entre monastère futuriste et concert de Nine Inch Nails.
Ici, la mode n’est pas “belle” au sens policé du terme : elle est viscérale. Owens assemble ses vêtements comme on sculpterait une cathédrale brutaliste, avec la même obsession des lignes franches et des volumes imposants. Chaque pièce semble taillée pour une héroïne post-apocalyptique, sortie d’un film de Tarkovski produit par Tim Burton. Les tons : noir, gris, parfois un blanc spectral qui ne rassure pas. Les matières : cuir tanné, laine brute, plumes qui ressemblent à des ombres en mouvement.
Owens, c’est aussi un geste politique. Dans un univers mode souvent saturé de joliesse Instagram, il revendique l’anti-séduction : une allure qui ne cherche pas à “flatter” mais à affirmer. Ses défilés, souvent performatifs, flirtent avec l’art contemporain : chorégraphies désarticulées, mannequins atypiques, scénographies quasi rituelles. Pas étonnant qu’on le cite aux côtés de Rei Kawakubo ou Yohji Yamamoto : même radicalité, même goût pour l’ambigu.
Au Palais Galliera, on circule comme dans un temple silencieux, presque religieux, où chaque mannequin expose non pas un vêtement mais une idée. On devine l’influence des mythes antiques, de l’art africain, du punk, et même de la danse butō. Owens ne cite pas, il absorbe, digère et recrache un univers qui n’appartient qu’à lui.
En sortant, on réalise que Rick Owens ne dessine pas des vêtements : il conçoit des armures spirituelles. Et que, parfois, la lumière se comprend mieux… en noir.
